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L'odyssée d'un Colibri
3 juillet 2020

1er et 2 juillet

Nous ne pouvons pas dire qu’on a exploré à fond les îles Eoliennes. Notre passage dans le coin se limite à une approche patiente du Stromboli pour observer son activité, à une petite navigation au milieu de l’archipel pour apprécier le superbe paysage marin qu’il présente, et à nos trois escales sur Lipari et Vulcano. Il y aurait encore beaucoup à faire par ici et nous pourrions probablement passer une semaine entière sur chaque île sans nous lasser mais, compte tenu du choix de mouillages assez limité et des tarifs franchement prohibitifs pratiqués ici, nous décidons de nous contenter de cet aperçu et de changer de secteur : cap vers la Sicile. Pas sur la côte visible juste en face des Eoliennes, où les deux ou trois possibilités d’escale (Tindari, Portorosa, Milazzo) ne nous attirent pas plus que ça. Nous optons plutôt pour une navigation assez longue qui nous fera passer le détroit de Messine pour nous emmener sur la côte est de la Sicile, que nous longerons jusqu’à Syracuse.

Pour passer ce fameux détroit de Messine, il vaut mieux calculer son coup : d’une part, l’effet Venturi associé au relief peut faire dévaler des montagnes environnantes des rafales beaucoup plus fortes qu’à l’extérieur du détroit. Sur ce point, ça devrait bien se passer puisque la météo ne prévoit pas beaucoup plus de 20 nœuds dans les rafales (au portant, pour nous). D’autre part, il faut tenir compte du courant de marée provoqué par deux facteurs : les délais de « remplissage » différents entre la mer Tyrrhénienne et la mer Ionienne qui créent une différence de niveau des eaux de part  et d’autre du détroit ; la différence de densité des eaux entre ces deux mers (selon leurs salinités et températures respectives) qui génère un courant de surface vers le nord et un courant de fond dans l’autre sens. Présenté ainsi, ça peut sembler super compliqué. Mais concrètement, pas besoin d’être officier de la Royale pour savoir à quel moment il est préférable de passer dans un sens ou dans l’autre : il suffit de suivre les recommandations du pilote côtier qui indique que le courant sud commence 4h30 après la marée haute de Gibraltar et que le courant nord démarre 1h45 avant cette marée haute. A l’aide d’une table des marées de Gibraltar, un élève de CE2 peut donc calculer à quelle heure il faut se présenter devant le détroit selon le sens de passage.

Pour nous aujourd’hui, il faudrait y être vers 18h. Compte tenu du faible vent annoncé, on n’ira pas vite jusque là-bas. Mais même en tablant sur une vitesse moyenne minable, il est inutile de se presser pour partir : il est urgent d’attendre jusqu’à midi.

Hier soir, un catamaran est venu mouiller de l’autre côté de la crique –sur une zone qui nous semble un peu trop profonde. Ce matin, dès les premières petites risées (12-15 nœuds) qui balaient ce coin peu abrité, nous le voyons déraper, lui encore, vers les rochers. Il remonte son mouillage et s’en va.

Les enfants ont largement le temps de se baigner autour du bateau pendant que je dégonfle et range l’annexe et le paddle. Héloïse, la plus chanceuse d’entre nous, se fait piquer sur le bras et sur le torse par une des méduses, jolies mais venimeuses, évoquées hier : une « medusa pelagia » qui devait traîner vers l’échelle de plongée et qu’elle n’avait pas vue. Brigitte s’occupe de la soigner avec les remèdes de grand-mère préconisés : rinçage à l’eau de mer, frottement de la brûlure (avec du papier), tartinage de mousse à raser puis d’huile d’olive. Ne manquent plus que du persil dans les narines et des rondelles de citron entre les orteils… N’empêche, Héloïse semble assez vite soulagée par ce traitement bizarre.

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Nous partons à midi et trouvons moins de vent en mer que ce qu’on avait au mouillage. Mais on a dit qu’on n’était pas pressés, on peut se permettre de la jouer puristes, sans moteur : nous nous traînons autour de 3,5 nœuds en faisant du près mollasson. Quelques heures plus tard, le vent espéré ne rentre toujours pas.

A l'approche du détroit, on commence à croiser des gros machins de ce genre:

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A force de traîner, on risque de « rater la marée ». Nous finissons donc par démarrer le moteur. Le gain de vitesse est assez vite interrompu par une nouvelle touche sur la canne à pêche : on arrête tout, on laisse l’animal se fatiguer, on remonte très progressivement, on re-laisse filer un peu quand ça tire trop fort… et le fil s’emmêle autour du moulinet. Sous tension, ça semble impossible à démerder. J’enfile une paire de gants pour terminer de remonter le bestiau à la main. Il arrive au niveau du bateau, nous le voyons très distinctement dans l’eau limpide. Il est magnifique. Brigitte est prête à le crocher avec la gaffe. Le fil casse une fois de plus, le poisson part avec notre dernier hameçon. Y en a marre, ça devient vexant. Je suppose que c’est l’absence de canne (et de son effet amortisseur) qui explique la rupture du fil. En tout cas, nous venons de perdre encore une demi-heure. Nous allons perdre encore plus de temps à cause d’un remorqueur, Hypsas,  qui tire une barge sur le même cap et juste un peu moins vite que nous le long de la côte sicilienne. Ce genre de convoi à manœuvrabilité limitée impose de garder ses distances, mais nous devons quand même croiser sa route pour piquer vers l’entrée du détroit de Messine. Incapables d’accélérer assez pour lui passer raisonnablement devant, nous sommes obligés de ralentir encore pour passer largement sur son arrière et viser l’entrée du détroit au plus près de la côte, en prenant le virage « à la corde » pour doubler Hypsas.

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Bref, on est à la bourre sur l’horaire prévu: il est près de 20h quand on s’engage vraiment dans le détroit, alors que le flot est déjà bien lancé en cette marée de relatives vives eaux (coef. 78).

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Dès l’entrée, devant Charybde (sur la droite, côté Sicile), nous traversons une première zone de turbulences : tourbillons et, surtout, mer très clapoteuse par endroits.

Ulysse entre Charybde et Scilla:

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En l’occurrence, nous ne remarquons rien de spécial du côté de Scilla, en face (côté orteils de la botte italienne). Le courant est de plus en plus fort. On se laisse entrainer de plus en plus rapidement : le loch indique 4,5 nœuds en vitesse surface alors que la vitesse fond du GPS affiche au moins 7 ou 8 nœuds (jusqu’à 8,76 enregistrés).

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Comme la côte est toute proche, l’impression de vitesse est renforcée par la vue du paysage qui défile très rapidement. Ceux qui assènent qu’il n’y a pas de marée en Méditerranée doivent venir voir ici ce qu’il en est : ça vaut le golfe du Morbihan. Par-ci, par-là, nous retrouvons d’autres zones clapoteuses bizarres et des tourbillons –mais restons quand même suffisamment manœuvrants, d’autant que le vent s’est maintenant levé jusqu’autour de 20 nœuds au très grand-largue.

D’après les spécialistes, les tourbillons étaient bien plus importants avant 1783, date à laquelle un tremblement de terre a modifié la topologie des lieux. On comprend d’autant mieux que ces phénomènes étranges aient assez surpris et effrayé les Anciens pour qu’ils leur attribuent le caractère magique qu’Homère présente dans l’Odyssée. Pour nous, ce soir, le danger n’est pas tellement de nous faire attraper et dévorer par le gigantesque tourbillon de Charybde ni par une Scilla aux douze pieds et aux six têtes horribles aux bouts de ses interminables cous. Ce ne sont pas non plus les cargos qui filent encore bien plus vite que nous et nous dépassent à faible distance, car ils restent sagement sur leur rail.

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Ce qui est plus inquiétant, c’est de se laisser emporter si vite au milieu des nombreux ferries qui traversent le détroit d’une rive à l’autre.

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Entraînés sur ce tapis roulant du flot, c’est un peu comme si on devait traverser sans freins une autoroute sur laquelle fonceraient sans cesse des poids-lourds dans les deux sens. De plus, la nuit tombe et il est de plus en plus difficile de repérer ces ferries dont les feux de navigation se confondent avec les lumières de la côte. Voilà ce que donne sur l'AIS le trafic ambiant dans lequel on fonce :

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Ce n’est donc pas le meilleur moment pour discuter sur Whatsapp… Désolé, les copains.

Passage devant Messine:

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L'entrée nord du détroit, derrière nous:

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Les choses ne se calment progressivement qu’après avoir dépassé Reggio di Calabria : le courant ralentit, le clapot bizarre disparaît, les ferries continuent leurs va-et-vient derrière nous. Il n’y a plus que les cargos en entrée ou sortie de rail à surveiller. On avance sous génois seul, presque vent arrière, avec 17 à 20 nœuds.

Nous pouvons alors dîner d'une omelette revigorante:

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La nuit se passe ensuite tranquillement sur notre rythme habituel.

Le vent faiblit jusqu’à devenir insuffisant pour rester sous voiles seules au petit matin.

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Une aube au pied de l'Etna:

 

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La préoccupation devient alors de s’assurer une place de port pas mal et pas trop chère à Syracuse. C’est d’autant plus important que nous comptons y rester quelques jours et y louer une voiture afin de visiter l’intérieur de la Sicile. Une fois de plus grâce à Navily, nous prenons contact avec la marina la mieux notée et obtenons une réponse positive une heure avant d’arriver.

L'approche de Syracuse par la mer est pire que sans intérêt; tellement moche que même les plus grands fans de Henri Salvador risquent de s'enfuir à la nage:

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Vers 11h, en entrant dans le port, ça cafouille un peu pour comprendre quelle place on nous attribue (quel ponton, quelle place… ?), mais un type finit par arriver pour nous montrer où nous amarrer entre des bateaux à moteur. La place n’est pas prévue pour un voilier, ce qui complique un peu la manœuvre d’amarrage (réglage des pendilles, traversières inadaptées). Une fois installés (pas bien perpendiculairement au ponton, mais bon), nous ne sommes pas si mal, sur une sorte de canal dont le quai nous conduit directement au cœur de la ville (tout près du marché quotidien notamment).

Après avoir déjeuné et nous être reposé deux heures, nous partons en vadrouille dans Syracuse, histoire d’y trouver nos premiers repères.

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La ville est finalement très agréable et heureusement beaucoup plus attrayante que la rangée d’immeubles horribles qui offrent au regard un bien triste accueil quand on arrive par la mer. Nos déambulations hasardeuses dans les petites rues nous conduisent notamment devant les ruines d’un temple d’Apollon, puis au Duomo, grande église construite par les byzantins à l’emplacement d’un temple d’Athéna (dont les colonnes sont encore apparentes, intégrées aux murs), le tout revisité par les Normands puis par les architectes baroques siciliens : drôle de mélange, et belle illustration de l'histoire compliquée de la Sicile.

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Mosaïques normandes:

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Nous visitons aussi la citadelle qui offre de jolis points de vue et une belle salle voûtée, mais qui nous déçoit un peu dans la mesure où son petit musée archéologique et sa salle des cartes sont fermés (toujours par mesure de protection sanitaire).

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Avant de rentrer au bateau pour finir la soirée, nous prenons un verre sur une jolie place ornée d’une fontaine, face à la Banco di Sicilia dont la façade semble sortir d’un décor de polar des années 60 : on ne serait pas étonné de voir passer Gabin ou Delon en repérage pour un braquage.

La sécurité de notre ponton est assurée par un terrifiant chien de garde : un brave berger allemand qui somnole paisiblement entre deux séances de caresses et papouilles infligées par tous les enfants du ponton, italiens ou français. Autour de ce chien se crée ainsi une amitié de ponton entre Héloïse et une petite Sarah italienne de son âge. Ni l’une ni l’autre ne se débrouille assez bien en anglais pour communiquer efficacement, mais le contact passe quand même. L’application Google Traduction vient à la rescousse quand les gestes ne suffisent pas à se comprendre.

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