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L'odyssée d'un Colibri
7 mars 2020

Vendredi 6 mars

Ciao, Alghero !

L’après-midi d’hier (jeudi) s’est passée à vérifier et revérifier l’évolution des prévisions météo pour les prochaines 24h, tant pour le vent que pour la houle et les risques d’orages. Le vent continue à souffler assez fort du sud (env. 20-25 nœuds). Pour poursuivre notre route vers le sud, on doit attendre que ça tourne à l’ouest.

Tout le monde a envie de partir… dans l’absolu. Dans la pratique, après un bon dîner dans notre carré  bien chauffé par le poële, alors que les averses s’enchaînent et que le vent frisquet fait siffler et frapper en cadence les drisses des mats voisins dans l’obscurité, la vérité est que chacun n’a qu’une envie : aller se coucher au chaud avec un bon bouquin. On ne voit personne dans les rues à cette heure par un temps pareil, c’est donc a priori une drôle d’idée que de choisir ce moment pour une sortie familiale en mer… Après avoir envoyé Héloïse et Perrine au lit, Brigitte, Ulysse et moi devons nous faire violence pour enfiler nos tenues de combat sur les coups de 22h, quand la girouette commence seulement à s’orienter vers le SW.

Manœuvre de port un peu périlleuse pour quitter notre place alors que le vent traversier nous pousse sur le bateau voisin et sa pendille, mais on s’en sort sans rien toucher ni casser –à part un joli bleu que Brigitte se fait au poignet en débordant vigoureusement. Nous n’avons même pas franchi les balises d’entrée/sortie du port qu’un grain nous tombe dessus pour saluer notre départ. Nous partons donc vers 22h30, sous de bonnes rafales, déjà trempés des pieds à la tête. Passé ce grain, le vent faiblit beaucoup, mais pas la houle que nous recevons sur le travers arrière, ce qui n’est pas le plus agréable…. Vers 23h30, le vent d’ouest tant attendu entre enfin en scène en fraîchissant progressivement. Nous sortons presque toute la toile.

A partir de là, nous fonçons au grand largue jusqu’au niveau du golfe d’Oristano, 50 milles plus bas. Notre vent apparent est d’environ 25 nœuds, donc un peu plus en vent réel. J’ai réglé le niveau de réponse du pilote automatique pour ne pas trop le fatiguer mais, même ainsi, la houle est la plupart du temps trop forte pour lui. Je barre donc sur presque toute cette étape –jusque vers 4h du matin. On avance souvent à plus de 7 nœuds, avec quelques surfs à plus de 10 nœuds. Après une semaine à vivre en terriens au port, les estomacs d’Ulysse et de Brigitte sont de nouveau déboussolés. C’est d’abord Ulysse qui ne se sent pas bien du tout en début de nuit. Après un Vogalen et une petite heure à somnoler, son état s’améliore. Puis, vers le golfe d’Oristano, à la hauteur de l’ « île du mal de ventre » (ça ne s’invente pas), Brigitte demande brusquement le désormais célèbre saladier à vomi qu’elle utilise immédiatement,  sans même prendre le temps d’essayer d’améliorer son cap de 2 degrés comme on vient de lui demander stupidement (chaque vague nous faisant osciller d’une vingtaine de degrés).

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Charmant petit îlot sarde dont nous n'avons vu que les feux mais dont Brigitte se souviendra...

 

Comme elle préfère ne pas retourner à l’intérieur du bateau et que le vent est en train de se calmer, je profite de la situation pour brancher le pilote et aller dormir de 4h30 à 6h.

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Timide lever de soleil, vers 6h30.

La matinée se passe ensuite tranquillement, nous poursuivons notre route toujours au grand largue, le seul problème étant le battement des voiles que le vent apparent maintenant réduit à 10-12 nœuds a du mal à tenir contre les oscillations liées à la forte houle persistante.

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Au grand largue avec retenue de bôme et génois tangonné pour que ça ne batte pas malgré le roulis.

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La houle nous roule et nous roule encore...

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Après cette nuit blanche et assez agitée, les siestes réparatrices d'Ulysse et Perrine encombrent le cockpit au petit matin.

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Avec ses yeux cernés, Ulysse affiche une gueule de vrai marin...

Nous observons d’assez loin cette côte du sud Sardaigne que nous ne connaissons pas : très découpée, beaucoup plus de relief, de falaises et de montagnes à l’arrière-plan qu’au nord. En fait, ça ressemble pas mal à la Corse. Nous ne distinguons qu’assez tard notre objectif sur l’horizon : l’île relativement basse de Carloforte dont l’approche nécessite un peu d’attention pour passer entre des cailloux. Les regards de tout le monde sont ainsi concentrés vers l’avant, vers cette île que nous devrions atteindre dans 2h, et personne ne remarque le nuage particulièrement antipathique qui nous arrive par derrière. Nous commençons par recevoir quelques gouttes de pluie. Bon, c’est pas grave, je descends remettre mon sur-pantalon imperméable. J’ai à peine le temps de l’enfiler (moins de 2 minutes, sans exagérer) que le vent passe brutalement d’environ 10 nœuds à 20 nœuds, puis 25, 30, 36 nœuds (et sûrement encore plus, mais au-delà, on ne regardait plus l’anémomètre). La bonne grosse houle rondouillarde à laquelle on s’est habitué depuis le début de matinée se transforme en méchantes déferlantes grises et blanches, le tout sous une pluie battante. On porte toute la toile. Forcément, le bateau nous fait un magnifique départ au lof (= il gite / penche fort en tournant vers le vent). On enroule presque tout le génois (heureusement que j’avais préalablement enlevé le tangon…) et presque toute la grand-voile. Avec cette minuscule surface de voiles, on file quand même à 9 nœuds… L’épisode ne dure que vingt minutes, mais la soudaineté et la brutalité de ce grain ont surpris tout le monde. Brigitte et Ulysse en restent quelque peu hébétés et pantelants. Les filles s’en moquent, elles n’ont rien vu ni senti, elles jouaient dans une cabine. Et moi, je m’en veux de ne pas l’avoir vu venir et anticipé en négligeant une des règles d’or en voilier : l’avenir est « au vent » (en amont), le passé est  « sous le vent » (en aval).

Pour nous réconforter, trois dauphins gris repérés par Ulysse viennent alors nous saluer et nous accompagnent pendant une dizaine de minutes. Les dauphins gris nous semblent plus rares que les « bleus et blancs » habituels. Ils sont plus gros, nagent plus calmement et sont moins joueurs et fous-fous, mais c’est toujours aussi sympa !

L’approche finale de Carloforte se fait paisiblement, en respectant bien les balises dans le goulet qui sépare l’île de la terre. Il n’y a d’ailleurs pas le choix : la houle crée des déferlantes impressionnantes et tout à fait dissuasives sur les hauts fonds à contourner. Les ferries qui assurent la liaison sont les seuls bateaux que l’on aura vu en mer depuis Alghero (pas le moindre voilier, ni pêcheur, ni cargo, ni la moindre embarcation : niente).

Personne ne répond à mes appels à la VHF pour demander une place. Vers 13h, on s’amarre donc d’autorité cul à quai sur un ponton qui nous semble sympathique. L’heureux propriétaire d’un gros catamaran Lagoon vient gentiment proposer d’attraper nos amarres. Il est français et vit à bord avec sa femme. Ils hivernent actuellement à Carloforte avant de partir vers la Grèce d’ici environ un mois. Peut-être nous recroiserons-nous.

Il n’y a plus un pet de vent, le soleil brille et nous avons presque chaud. On étale sur le pont tous nos vêtements et harnais trempés pour les faire sécher et on grignote un sandwich. 

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Pour signaler notre arrivée à la capitainerie, ça attendra un peu car elle n’ouvre qu’à 16h. Rangement et sieste méritée.

A 18h, je me rends au bureau de la « marina Sifredi » où je reçois un excellent accueil d’une dame qui, en plus des formalités classiques, se trouve désolée de devoir me faire remplir un tout nouveau document en anglais concernant le coronavirus.

Nous sommes visiblement le premier bateau arrivé à devoir renseigner ce papier. Elle-même semble le découvrir et n’arrive pas à l’imprimer correctement au bon format. C’est un de ces petits bijoux d’absurdité administrative totalement inadapté à un petit bateau de plaisance comme le nôtre : « le médecin du bord a-t-il des cas suspects à signaler ? Avons-nous fait l’objet d’une quarantaine lors de nos dernières escales? Quelles étaient chacune de ces escales ? Combien de décès parmi les passagers et les membres d’équipage ? ( !!!) » Etc.). Je réponds de mon mieux à ce formulaire. Nous suivons l’actualité de très loin, mais cette histoire de Coronavirus nous inquiète un peu. Pas tellement pour notre santé (isolés comme nous le sommes à bord, ce serait vraiment une malchance exceptionnelle d’attraper ce virus en faisant nos petites courses à la supérette du coin), mais pour les complications administratives qui en découlent : en particulier, risque de nous retrouver en quarantaine en arrivant dans tel pays parce qu’on arrive de tel autre. Et aussi de nous voir interdit l’accès à des sites, monuments et musées, comme pour le Louvre et d’autres musées à Rome dont nous avons appris que l’accès au public a été temporairement fermé. Mais que faire, à part adapter notre programme en fonction des évolutions de l’actualité ?

Cette journée de vendredi s’achève en visitant les magnifiques sanitaires (toilettes et douches) du port : vastes, propres, luxueux,  ils donnent envie de les utiliser… dès lors qu’on arrive à y accéder. Pas évident pour les enfants qui commencent par décréter qu’on n’a pas le bon code d’accès après s’être acharnés à composer le code fourni, puis à tirer et à pousser la porte comme des brutes sans succès… alors qu’il s’agit d’une porte coulissante. Cependant, seul Ulysse est assez motivé pour prendre une douche. Pour le reste de l’équipage, ça attendra demain, après une bonne nuit de sommeil, tout comme la balade dans le village qui semble assez agréable.

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L’air de rien, cette nouvelle escale marque une étape importante de notre voyage. C’est maintenant que nous sortons de la zone que nous avons déjà explorée pendant nos croisières estivales. Jusqu’ici, nous ne découvrions pas mais reconnaissions les paysages, chaque endroit était associé à l’un ou l’autre souvenir, nous évoluions en eaux familières, nous savions où faire les courses et avions déjà nos adresses de petits restos sympas,… La vraie découverte commence maintenant, avec tout son piment : après Magellan, Cook et La Pérouse, à nous l’exploration de nouvelles terres, avec leurs charmes et leurs dangers, le passage de caps inconnus, les indigènes accueillants ou hostiles (« Non, vous ne pouvez pas vous amarrer ici, ou alors c’est 50 euros en espèces»), les mouillages foireux et la magie des visites de toilettes de port pleines de surprises.

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Commentaires
P
Nous vous suivons avec un vif intérêt <br /> <br /> Super blog
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